QUÉBEC – L’information internationale reste-t-elle le parent pauvre des médias québécois? Question soulevée samedi lors du colloque proposé par le Centre d’études sur les médias (CEM), dans le cadre du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Dix panélistes, dix lectures différentes de la faiblesse de la couverture.

Par Elsa Iskander, journaliste au Courrier parlementaire, collaboration spéciale

QUÉBEC – L’information internationale reste-t-elle le parent pauvre des médias québécois? Question soulevée samedi lors du colloque proposé par le Centre d’études sur les médias (CEM), dans le cadre du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Dix panélistes, dix lectures différentes de la faiblesse de la couverture.

Par Elsa Iskander, journaliste au Courrier parlementaire, collaboration spéciale

Selon l’édition 2012 du rapport sur l’État de la nouvelle d’Influence communication, l’information internationale occupe un maigre 0,54 % de l’espace médiatique québécois, contre 10,04 % au Canada et 12,77 % à l’échelle mondiale. À titre de comparaison, les nouvelles sportives, ainsi que les faits divers et les affaires judiciaires représentent chacun, en moyenne, plus de 12 % du contenu médiatique d’ici.

En régression

Les progrès technologiques ont ouvert de nouvelles opportunités pour le journalisme à l’étranger. Cependant, on assiste au Québec à un «recul» de l’information internationale, à «contre-courant» de ce qui se fait ailleurs sur la planète, «surtout dans les pays émergents, qui eux, s’ouvrent beaucoup sur le monde», observe Jean-François Lépine, ancien journaliste de Radio-Canada. Son émission Une heure sur terre n’est d’ailleurs plus en ondes depuis la rentrée.

Jocelyn Coulon, directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix, affirme quant à lui ne rien attendre de l’information internationale au Québec. Michel Lambert, directeur général d’Alternatives, estime que le mot «crise» s’applique tout à fait à la situation de l’international dans nos médias.

Pour sa part, Michel Cormier, directeur de l’information chez Radio-Canada, fait valoir que la proportion d’informations internationales dans le téléjournal 22 h est passée de 24 % à 28 %. Et 65 % de celles-ci, plutôt que 50 % auparavant, sont produites par les correspondants. Cela dit, c’est évident que le diffuseur public n’a plus les moyens dont il disposait autrefois, convient-il.

En cette ère de la mondialisation, Yan Cimon, professeur en sciences de l’administration à l’Université Laval, souligne l’importance que revêt l’information internationale pour les gens d’affaires. François Normand, journaliste aux Affaires, observe une augmentation des reportages à l’étranger pour couvrir les nouvelle économiques. Selon lui, il faudrait avoir plus de correspondants à Washington et aux États-Unis. Les médias québécois devraient aussi se tourner davantage vers Bruxelles, en Belgique, et vers le continent asiatique.

L’œuf ou de la poule?

Si les médias québécois couvrent peu ce qui se passe à l’extérieur des frontières canadiennes, est-ce parce que le public ne s’y intéresse pas? Ou ce désintérêt émane-t-il de la couverture anémique?

Moins la population réclame ce type d’information, moins les médias en offrent et vice-versa, estime Michel Lambert. De sorte que l’information internationale est en «péril». Aux yeux de Jean-François Lépine le désintérêt vis-à-vis de l’international est présent au sein des rédactions, mais peut-être aussi parmi le public.

Les médias demeurent le reflet de la société québécoise, suggère le journaliste pigiste Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. Selon lui, ce manque d’intérêt s’explique par le «splendide isolement» dans lequel se retrouve la province. D’une perspective géopolitique, le Québec se situe dans une sorte de «cocon confortable», relativement loin des points chauds.

De plus, les Québécois s’intéressent davantage à la politique provinciale qu’à Ottawa, responsable de la politique étrangère du Canada, soutient M. Légaré-Tremblay. Il faut aussi tenir compte du fait que le Québec est un «petit marché».

Cette «forme d’insularité» a un impact sur l’intérêt que portent les Québécois à l’information internationale, croit aussi Marc Thibodeau. Le journaliste de La Presse dénote à la fois une couverture insuffisante et un manque d’intérêt chez le public.

Au contraire, les Québécois s’intéressent bel et bien à ce qui se passe outremer, défend Alexandre Sirois, arguant qu’il ne faut pas sous-estimer le public. Selon les sondages, ce type d’information est apprécié de la population, qui trouve que les médias n’en produisent pas assez, note-t-il. Chaque année, les nouvelles internationales sont parmi les plus lues, soutient le responsable des informations internationales à La Presse.

Responsabilité des journalistes

«On sert à quoi nous en tant que journalistes? C’est quoi notre responsabilité sociale?»  questionne M. Sirois. Sa réponse: informer nos concitoyens sur ce qui se passe dans le monde afin qu’ils puissent prendre des décisions éclairées. Sinon, «on trahit notre mission».

De l’avis de Dominique Payette, professeure de journalisme à l’Université Laval, on ne peut se cacher derrière le désintérêt public. Il revient aux journalistes de rendre l’information intéressante. Certains soutiennent que l’information internationale se destine d’abord aux élites. Le danger est de créer une fracture sociale, prévient-elle.

La responsabilité repose entre les mains des dirigeants des médias, mais aussi entre celles des journalistes, convient aussi Jocelyn Coulon. Ces derniers doivent savoir comment vendre leurs sujets à leurs patrons.

Ressources limitées et priorités

Si la scène internationale n’est pas couverte davantage, c’est notamment en raison des ressources limitées fait également remarquer M. Coulon qui a déjà été responsable de l’information internationale au Devoir. Dans un tel contexte, l’information produite doit avoir une «valeur ajoutée».

Ce n’est «pas une question d’argent» mais plutôt de «priorités» et de «choix», croit Jean-François Lépine. Si l’on ne met pas de «fenêtres» sur la maison, pour avoir une perspective sur le monde extérieur, c’est peut-être parce qu’on ne le veut pas, laisse-t-il entendre.

Certes, les contraintes financières existent, mais «c’est toujours une question de priorité», soutient également Marc Thibodeau. En ne prêtant pas plus d’attention à l’information internationale, on est susceptible de «mal percevoir l’autre ou de sombrer dans une forme de méfiance».

Traiter l’information en provenance d’outremer avec une perspective québécoise permet de la rendre intéressante, avance Michel Lambert. Jean-Frédéric Légaré-Tremblay suggère de s’intéresser à ce qui se fait ailleurs dans des domaines qui font débat ici. Par exemple, en matière de santé ou d’éducation. Une autre avenue est d’amener le public vers l’étranger en misant sur le messager, c’est-à-dire un visage familier.

Le cas de l’Afrique

Les nouvelles d’ailleurs ne sont pas toujours des plus réjouissantes. Lorsque les médias parlent de ce qui se passe à l’étranger, ce sont souvent des images de violence et de conflits qui sont projetées. Selon M. Lambert, les médias gagneraient à rapporter plus d’informations positives et progressistes. Au-delà des faits divers qui sont rapporté, «on a besoin d’une analyse».

Puisqu’on aborde peu l’actualité internationale, chaque fois que l’on en parle c’est d’une très grande importance, affirme Dominique Payette. Alors de quoi parlons-nous? «Le résultat est absolument catastrophique», déplore-t-elle, évoquant la couverture médiatique du continent africain, pour illustrer ses propos. Par exemple, le grand gagnant de cette couverture, axée sur la «pitié», c’est «la catastrophe».  Et «c’est à peine si on sait qu’il y a des sociétés civiles organisées».

Bref, «les représentations sont rares et elles sont extrêmement négatives.» Mais encore, les sujet socio-politiques ne sont pas expliqués convenablement, s’inquiète-t-elle. On n’explique plus, on montre. Et c’est un «dérapage» majeur en matière d’information  internationale, se désole Mme Payette.

Radio-Canada n’a pas de bureau sur le continent africain. Le dernier qu’elle ait ouvert se situe à Beyrouth, au Liban.

«Sur l’Afrique, on est coupable comme tout le monde, mais on y travaille», commente Michel Cormier. L’option retenue pour l’instant est celle de s’y déplacer ponctuellement pour couvrir des sujets d’intérêt.

Aux rêveurs…

Par ailleurs, pour ce qui est des jeunes qui rêvent un jour d’être correspondant international, une des manières d’y parvenir est de prendre son baluchon et d’aller soi-même à l’étranger pour y dénicher des nouvelles. C’est une des options avancées par Michel Cormier.

Danièle Kriegel-Enderlin, correspondante à Jérusalem, présente dans l’auditoire, a cependant exposé les difficultés du métier de pigiste vivant à l’étranger. Au-delà des conditions d’emploi précaire, «on se trouve dans une très grande solitude», a-t-elle exprimé. Souvent, les médias veulent des topos sur les sujets qui feront les manchettes partout, créant ainsi un «effet de meute». Et ce, aux dépens de sujets plus originaux.

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