Emmanuelle Lebeau-Guertin, Université du Québec à Montréal |
Que ce soit à cause d’internet, du désir d’instantanéité, de la vitesse de l’information, des trop nombreuses publicités astreignantes, du manque d’accessibilité, du petit marché à grandes sollicitations, ou encore de la simple concurrence, la fonction de journaliste culturel compte ses heures. Survivra-t-elle à une éventuelle réforme? La société québécoise est une société bien distincte. Habitée par plus de 7 500 000 personnes, dans un pays qui les place dans une position minoritaire, le Québec s’est toujours démarqué par sa culture, par sa langue. Lili Marin, journaliste pour Radio-Canada, présume que notre « culture fait que le Québec, est le Québec ». Sans elle, nous serions certainement assimilés aux anglophones. La culture québécoise est d’une telle force que le gouvernement fédéral du Canada a même dû créer un service public, Radio-Canada, qui a pour mandat de refléter la diversité de la culture canadienne, tout en donnant aux citoyens un même sentiment d’appartenance. Même si les Québécois francophones ont toujours vécu dans une société minoritaire, au Canada, ces derniers se sont toujours démarqué du reste du pays, en gagnant, par exemple, près de 50% des Prix Génies, alors qu’ils ne représentent absolument pas 50% de la population. Les journalistes culturels sont donc énormément privilégiés de travailler dans une région où la culture occupe une place de si grande importance.
En plus de favoriser un grand nombre du public à l’accès et à l’appropriation de la culture, pour Eva Quintas, directrice de projet chez Culture pour tous, « le métier de journaliste culturel est très précieux, car c’est une fenêtre ouverte constamment sur le monde ». Idéalement, la personne exerçant ce métier doit posséder plusieurs qualités primordiales, comme : des connaissances globales et historiques, du jugement critique, de la curiosité, de la neutralité, des spécialisations et de l’éthique. Elle doit aussi mettre les œuvres, qu’elle étudie, bien en contexte. De la sorte, l’expertise du journaliste permettra aux lecteurs, par exemple, d’obtenir encore plus d’informations sur un sujet qui l’intéresse, tout en continuant de faire fructifier ses connaissances générales. En se faisant éclairer par les journalistes culturels, la population pourra alors mieux faire ses choix, en matière de culture. La personne qui choisit d’exercer ce métier doit donc contaminer les gens, par sa passion pour les arts Le rôle du journaliste culturel est, sans aucun doute, de donner des outils aux citoyens, afin qu’ils puissent profiter au maximum de leur culture, mais aussi des cultures du monde entier, s’ils le désirent. Il éveille les consciences, aussi bien que n’importe quel acteur important, dans un système démocratique. Le marché des arts est cependant très petit, même si le milieu demeure des plus productifs. Ce marché culturel crée aussi des liens incestueux avec les médias. En fait, le journaliste du XXIe siècle est porté, sans cesse, à créer des liens d`amitiés avec les artistes. Dans un milieu aussi petit, si vous créez des liens amicaux avec le monde artistique, comment pensez-vous pouvoir avoir, ensuite, une quelconque objectivité? Certains journalistes veulent tellement faire partie du « star-système », qu’ils en oublient leur véritable métier! Il y a donc un énorme et véridique problème concernant une non-objectivité excessive. Ces journalistes n’utilisent alors plus leurs jugements critiques et flattent seulement, les gens du « show biz », dans le bon sens du poil. En plus, il y un réel problème créé par la sollicitation. Patrick Baillargeon, journaliste culturel du Voir, estime « qu’avec l’apparition d’internet, on ne connaît que 30% de l’art… après [la population se trouve dans une position de] saturation générale ». Ce n’est donc ni juste pour les artistes, qui ont tant travaillé et qui n`arrivent pas à faire couvrir leurs œuvres, et ni juste pour les journalistes qui ont une énorme pression, venant des agences de presse, afin qu’ils couvrent un sujet donné, de manière favorable. La preuve, depuis les dernières années, le nombre de relationnistes et d`agences de presse ne cesse de croître, alors que la quantité de journalistes diminue dangereusement. Comment font donc les journalistes pour choisir un bon sujet, à faire découvrir aux citoyens, dans tout ce brouhaha? Il est donc aisé de constater que de petites productions, ou des formes d`art moins populaires, comme la danse et l’art visuel, sont très peu, ou ne sont tout simplement pas, traitées, souvent parce qu’ « elles n’ont pas les moyens d’acheter de la publicité », comme l’a fait remarquer Céline Marcotte, Directrice de Folie culture. Encore une fois, comment le journaliste peut-il rester objectif et critiquer sévèrement un artiste quelconque, lorsque le groupe de celui-ci paye son salaire? La réponse donnée par les médias, pour se déculpabiliser de ne pas couvrir toutes les formes d’art, est le manque d’accessibilité intellectuelle, ce qui entraîne automatiquement un désintérêt de la population. Toutefois, si les journalistes pouvaient seulement couvrir un peu plus toutes ces formes différentes d’art, on pourrait sûrement constater une émergence d’attirance, de la population, pour ces formes d’art dites « moins accessibles ». N’oublions pas que le rôle du journaliste est aussi de faire découvrir de nouvelles choses au public. Bon nombre de citoyens pourraient alors s’avérer être, par exemple, des amateurs d’arts visuels. S`ils ne le sont pas présentement, c’est probablement seulement parce que personne ne leur a donné la chance de le devenir. Ce qui est certain, c’est que l’art, vendu et apprécié seulement en tant que machine à sous, défavorise considérablement le monde artistique, qui ne répond pas exactement au profil recherché, soit à l’art un peu plus « people ».
Même les postes des journalistes devraient être plus financés. Avec, entre autres, internet et la rapidité de l’information, tout le monde s’improvise journaliste culturel. C’est facile… pas besoin de formations, ni de contenus, mais seulement des opinions. Les gens naviguent donc facilement sur facebook ou sur des blogues, afin d’avoir l’opinion de gens comme eux. Ils sont de moins en moins portés à aller consulter un magazine spécialisé ou un journal, car ils ne font souvent plus confiance à la mafia journalistique. Pour Colette Brin, professeure agrégée au département d’information et de communication de l’Université Laval, « les rapports qu’entretiennent l’artiste, l’œuvre et le journaliste sont souvent trop promotionnels ». Ce qui est totalement navrant, c’est que ce n’est pas vraiment la faute des journalistes, sauf bien entendu, pour ceux qui jubilent à l’idée de faire partie du vedettariat; mais bien plus la faute des dirigeants, assoiffés d’argent, qui prennent de mauvaises décisions. Bien souvent les journalistes se retrouvent même catapultés dans les dossiers culturels, alors qu’ils n’y connaissent strictement rien. Certains d’entre eux n’ont donc rien à dire et leurs écrits sont souvent plus que maladroits. Une réforme s’impose alors chez les journalistes culturels, s’ils veulent que leur fonction perdure. Il faudrait aussi que les dirigeants capitalistes comprennent que la culture est importante, au même titre que l’éducation. Des changements s’imposent alors pour préserver l’art sous tout ses angles, mais surtout le journalisme culturel, car comme le disait si bien Patrick Baillargeon : « l’art ne cessera jamais d`exister, même si les outils [pour en parler] disparaissent ».
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