RIO-DE-JANEIRO – Tout comme la Télévision publique suédoise, la BBC a une politique très stricte en matière d’utilisation de la caméra cachée et de l’entrevue-surprise. L’équipe doit entre autres remplir un BBC Secret Filming Form détaillant la preuve qu’elle possède sur le comportement illégal ou antisocial qu’elle cherche à documenter de manière clandestine.

RIO-DE-JANEIRO – Tout comme la Télévision publique suédoise, la BBC a une politique très stricte en matière d’utilisation de la caméra cachée et de l’entrevue-surprise. L’équipe doit entre autres remplir un BBC Secret Filming Form détaillant la preuve qu’elle possède sur le comportement illégal ou antisocial qu’elle cherche à documenter de manière clandestine.

Propos recueillis par Kinia Adamczyk, collaboratrice à Rio de Janeiro, journaliste à la recherche à TVA

À la BBC, le tournage clandestin et le projet d’émission au sein duquel les images prendront place, doivent être approuvés par BBC’s Head of BBC News Programs, en se basant sur l’intérêt public de connaitre les faits, versus la protection de la vie privée des personnes visées par l’enquête. Vie privée qui sera inévitablement brimée.

Tom Giles travaille à la télévision publique britannique depuis 1991 et il est producteur exécutif depuis 2010 de Panorama, émission d’enquête d’une heure, en ondes depuis 1953 et qui attire environ trois millions de téléspectateurs chaque semaine. Un chiffre qui a été jusqu’à doubler lors de la diffusion d’une enquête sur un scandale touchant l’un des siens, le défunt Jimmy Savile.

Rencontré à la conférence du Global Investigative Journalism Network à Rio de Janeiro à la mi-octobre, il a répondu aux questions de Projet J.

Projet J: Quel est, selon vous, l’exemple le plus éloquent d’enquête que vous ayez tournée en caméra cachée?

Tom Giles: Sans doute Undercover care: the abuse exposed. Dans cette émission, un journaliste clandestin s’est fait embaucher comme préposé aux bénéficiaires à Winterbourne View, un hôpital spécial soignant des personnes ayant des déficiences intellectuelles. Ce centre hospitalier est situé près de Bristol au Royaume-Uni et il est opéré par une compagnie privée, Castlebeck. Nous avons été avertis par un dénonciateur de cas de mauvais traitements et même d’une culture d’abus de la part de certains employés. Nous avons d’abord demandé à cet informateur d’alerter deux organismes gouvernementaux. Ces derniers n’ayant pas réagi aux alertes, la chaine nous a permis d’opérer en caméra cachée.

Quel a été alors le processus?

Nous avons décidé d’envoyer notre journaliste se faire embaucher sur les lieux. Il a travaillé là-bas pendant cinq semaines, et nos supérieurs nous ont permis de filmer clandestinement. Notre preuve était suffisante pour justifier le fait de vouloir informer le public sur les actes criminels et dégradants proférés dans cet hôpital. Et nous n’avions aucun moyen d’y parvenir autrement qu’en filmant en caméra cachée. Il n’y avait à notre connaissance ni rapports, ni de documents pour prouver les allégations.

L’utilisation de telles méthodes est-elle réglementée en Grande-Bretagne?

Il y a des lois sur la vie privée, sur l’intrusion et la protection de données. Mais elles nous permettent quand même d’argumenter que les comportements que nous enregistrons doivent être exposés dans l’intérêt du public. Il est rare que nous voyions notre demande être refusée quand ces comportements vont clairement à l’encontre du bien commun. Il y a eu plusieurs poursuites découlant de ce genre de tournages clandestins au Royaume-Uni. Dans l’affaire du Winterbourne View, onze personnes ont fait face à des poursuites et six se sont retrouvées derrière les barreaux suite à notre enquête.

Ça se passe mal parfois?

Nous avons été chanceux même si nous sommes passés près d’avoir des problèmes parfois. Par exemple, Joe Casey, notre journaliste infiltré à l’hôpital Winterbourne View, s’est fait arracher par un patient le bouton caméra qu’il portait à la chemise. Les fils électroniques pendaient, mais personne ne les a remarqués. Une autre fois, lors d’une enquête au sujet d’agents de soccer, un individu a remarqué une lumière rouge sur la caméra cachée dans un bouton de chemise. La personne a fixé le bouton et l’a pointé durant un long moment, mais heureusement, elle était saoule et elle a probablement pensé que c’était un reflet bizarre. En fait, le plus grand risque que nous courrons, c’est de démarrer le tournage et de ne pas parvenir à recueillir des preuves assez formelles pour aller en ondes avec. Quand arrête-t-ton de filmer? Doit-on abandonner et donner les images aux autorités pour qu’elles traitent elles-mêmes le problème? Le risque, c’est que tout le monde soit au courant que nous tournions de façon clandestine, malfaiteurs y compris, sans avoir néanmoins une preuve assez solide pour mener à des accusations formelles. Cela engendre un risque d’un point de vue légal.

Procédez-vous également à des entrevues-surprises?

Nous avons la permission de faire ce genre d’entrevues seulement quand la BBC est satisfaite du délai qui s’est écoulé depuis la demande, habituellement de sept à dix jours. Quand la personne visée n’a pas répondu adéquatement à une lettre de la BBC détaillant les allégations. Il peut cependant y avoir des exceptions à cette politique, notamment s’il n’est pas possible d’attendre aussi longtemps parce que la personne peut fuir le pays. Mais les allégations que nous voulons vérifier doivent dans tous les cas être très sérieuses: crime, comportement antisocial, hypocrisie politique, etc.

Ces entrevues donnent-elles de réels résultats?

Récemment, nous avons confronté un «troll» internet qui laissait des messages abusifs, insultants et racistes sur les pages Facebook de différents individus, plus particulièrement sur des pages créées en mémoire de personnes décédées. Il a avoué être l’auteur de ces commentaires, mais une dispute s’en est suivie avec notre journaliste parce qu’il ne voulait pas admettre qu’il s’agissait d’un comportement condamnable.

Dans une enquête sur la corruption dans le milieu des courses de chevaux en 2002, nous avons battu un record, avec six ou sept individus que nous avons abordés avec des entrevues-surprises. Parmi eux, il y avait des entraineurs et des jockeys très connus qui étaient prétendument impliqués dans du trucage de courses et de paris. Mais aucun d’entre eux ne voulait répondre aux allégations.

Est-ce qu’il est déjà arrivé que ça tourne mal?

C’est plutôt courant que le journaliste ne réussisse pas à rencontrer la cible de l’entrevue. Puisqu’on les avertit à l’avance de nos intentions de diffuser les allégations, ce n’est pas surprenant qu’ils anticipent notre arrivée. Une fois, nous avons voulu rencontré un homme que son ex-conjointe accusait de harcèlement répété et continu. Il s’est arrangé pour que son frère, qui lui ressemblait beaucoup, quitte la maison au moment où nous arrivions pour l’intercepter. Le temps que celui-ci nous convainque qu’il n’était pas le suspect, la cible avait réussi à s’échapper. Ça nous a mis dans l’embarras parce que c’est nous qui avons été accusés de harcèlement par la suite.