À l’instar de la presse écrite, l’explosion du numérique a bouleversé la pratique d’une autre forme d’écriture, le photojournalisme. La démocratisation des nouvelles technologies a amené un nombre grandissant d’amateurs à croquer le monde sur le vif à l’aide des divers outils technologiques mis à leur disposition, et a placé sur la route des photographes un médium incontournable: la vidéo.
Par Marie-Michèle Genest, étudiante en journalisme
À l’instar de la presse écrite, l’explosion du numérique a bouleversé la pratique d’une autre forme d’écriture, le photojournalisme. La démocratisation des nouvelles technologies a amené un nombre grandissant d’amateurs à croquer le monde sur le vif à l’aide des divers outils technologiques mis à leur disposition, et a placé sur la route des photographes un médium incontournable: la vidéo.
Par Marie-Michèle Genest, étudiante en journalisme
La mort de Neda, ça vous dit quelque chose? L’immortalisation du décès d’une étudiante abattue lors d’une manifestation à Téhéran est devenue virale sur le Web en 2009. L’année suivante, l’image méritait une mention spéciale au World Press Photo, exposition itinérante qui récompense les meilleurs photojournalistes de l’année. Pourtant, sa reconnaissance a soulevé la grogne chez plusieurs photographes. La raison? L’image est en fait une capture d’écran tirée d’une vidéo amateur. Le statut professionnel du photojournalisme tend donc à s’amenuiser, et l’instantanéité de la photographie, l’art de capter le «bon moment» qui se veut l’apanage du photographe d’expérience, n’est plus sollicitée. Il suffit de faire un arrêt sur l’image, une fois l’événement passé.
Le photojournalisme citoyen
Les paramètres entourant La mort de Neda ne choquent pas du tout Philippe Ruel, jeune photojournaliste indépendant faisant partie du collectif Stigmat Photo de Québec. Pour lui, la démocratisation de la technologie est somme toute très positive. «Tout le monde a le droit de s’exprimer et de faire des photos», assure-t-il, dénonçant au passage l’esprit élitiste et la présence d’une certaine chasse gardée au sein de la photographie de presse. Il estime que la miniaturisation de l’équipement photographique et le perfectionnement du matériel amateur, qui se rapproche de plus en plus de celui du professionnel, amènent les gens à rapporter et dénoncer certaines situations, que ce soit par l’entremise de blogues personnels ou par les sites internet des grands médias.
En effet, les citoyens de la planète sont devenus à la fois des consommateurs et des producteurs de nouvelles. Dans son livre L’explosion du journalisme, Ignacio Ramonet explique que les journaux encouragent de plus en plus les individus à participer au contenu de la presse, qu’elle soit écrite ou électronique. Par exemple, la communauté Citizenside propose «un regard différent et multiple sur la réalité», en incitant les amateurs témoins d’un événement à leur faire parvenir des photos et des vidéos.
Pourtant, la prolifération des photographes amateurs, qui constituent une main-d’œuvre abondante et souvent gratuite pour les médias, affecte directement ceux qui vivent du métier de Philippe Ruel. «Dans ce domaine-là, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus», constate le photographe à temps partiel qui affectionne les reportages de fond. Il se questionne sérieusement quant à l’intérêt des médias à dépêcher des photographes professionnels sur les lieux d’un événement qui a déjà été capté par des milliers de téléphones de plus en plus performants.
À travers son blogue, le jeune photojournaliste français Pierre Morel expose cette nouvelle réalité. «Il est vrai que la démocratisation de l’appareil photo numérique aura permis d’une part, aux agences d’équiper d’excellents correspondants à travers le monde et d’autre part à de nombreux photographes citoyens d’être les capteurs privilégiés d’évènements d’actualités».
À l’instar des journalistes qui doivent se réinventer afin de retenir leurs lecteurs à l’heure où l’information devient gratuite, les photojournalistes doivent mettre de l’avant leurs compétences afin de démontrer la plus-value et la portée de leur métier sur le monde de l’information, autant envers le public que les agences médiatiques. Pierre Morel exprime la nécessité de rendre les lettres de noblesse à son métier. «En développant un style, un regard, une écriture, un propos, en somme une signature, le photojournaliste peut se différencier de la production des agences filaires, des sites de microstock ou de l’immense masse uniforme de photos réalisées par les photographes dits « amateurs ».
Philippe Ruel partage le même avis. Selon lui, le photographe amateur ne pourra jamais se rendre aussi loin que le professionnel, que ce soit sur le plan du cadrage, de la lecture de la lumière, ou de la rapidité d’exécution. «Si j’essaie de réparer ma voiture moi-même, ça va me prendre beaucoup de temps avant que je réussisse aussi bien qu’un mécanicien qui pratique le métier depuis 20 ans», illustre-t-il son propos.
Interrogé sur le futur du photojournalisme, le photographe de Québec peine à se prononcer sur le sort de son métier. «Les temps changent, le monde est en perpétuelle mouvance…». Toutefois, il est convaincu que les reportages de fond qui racontent des histoires capteront toujours le commun des mortels. «L’humain est trop imbu de lui-même pour ne pas rapporter ses propres histoires!»
La vidéo, un passage obligé
Photographe pour La Presse canadienne, Jacques Boissinot a débuté dans le métier il y a plus de 30 ans. Il a d’abord manipulé la pellicule, pour ensuite s’adapter à l’ère du temps et passer en mode numérique. Malgré toutes ces années de pratique cumulées, son apprentissage est loin d’être terminé. Désormais, il doit affronter une nouvelle facette de la technologie numérique : la vidéo. En effet, depuis six mois, ce support numérique remplit de plus en plus son agenda de travail, occupant maintenant le tiers de ses tâches. «Ça fait partie de la modification de notre travail», avoue-t-il, réaliste et un peu résigné à la fois. Il avance que la popularité de You Tube est à l’origine de la fascination et de l’engouement pour la vidéo. «Mais You Tube, ce n’est pas du journalisme!», ajoute-t-il avec empressement.
Dans son article paru dans les Cahiers du journalisme, Yannick Estienne aborde la réalité des «journalistes shiva», désignation qui caractérise le «multitasking» obligé du journaliste à l’ère cybernétique. Le photojournaliste n’y échappe pas. Il doit lui aussi se doter d’une paire de bras supplémentaire s’il veut garder la tête hors de l’eau. En réalisant également des vidéos, le photographe de presse doit aussi savoir capter du son de qualité et maitriser les logiciels de montage.
Toutefois, ces nouvelles tâches peuvent s’avérer beaucoup plus faciles pour les photographes qui ont évolué au gré des nouvelles technologies. Toujours à travers son blogue, Pierre Morel voit la polyvalence comme un aspect motivant et excitant de son métier : «Aujourd’hui, sur le terrain, on ne pense plus toujours en terme de photo « double pages » ou de photo « couverture » pour un magazine. On se demande plutôt si l’on va prendre du son, si l’on ne va pas faire un petit entretien vidéo ou si on ne pourrait pas faire une petite série d’images qui pourraient se superposer dans un montage multimédia.»
Pour M. Boissinot, la transition entre la photographie et la vidéo n’est pas aisée. Il doit s’adapter lui-même à cette nouvelle demande afin de répondre aux exigences de ses patrons. Face à cette réalité, il ose avouer que certains de ses supérieurs ne comprennent pas toujours l’essence du journalisme et utilisent la vidéo uniquement qu’à des fins publicitaires. Ceci dit, l’impasse financier des journaux préoccupe grandement -voire trop- les actionnaires et les patrons des entreprises de presse, parfois au profit de la nouvelle. Pour Ramonet, «une bonne information se mesure désormais en termes d’audience». La photographie se trouve elle aussi prisonnière de cette logique de commercialisation, et commence à en perdre tout son sens et sa valeur brute. Devenant des produits de consommation, les images défilent à toute vitesse et deviennent ainsi interchangeables.
Malgré une similitude apparente, la photo et la vidéo présentent des techniques différentes selon M. Boissinot. Tandis que la vidéo doit capter un moment intéressant ou significatif d’un événement, la photo immortalise une expression, une parcelle de la vérité. Mais lorsque les tâches consistent à faire les deux en même temps, quel médium privilégier? «Je dois suivre mon instinct», avoue M. Boissinot, en ajoutant qu’à plusieurs reprises, il a dû sacrifier ses clichés pour se consacrer à la réalisation d’une clip. «C’est à peu près impossible de faire les deux en même temps», s’est-il justifié. Selon lui, une bonne manière de s’adapter au marché sans compromettre la qualité de ses photos, serait l’utilisation plus fréquente des diaporamas sonores. Ce qui semble constituer un compromis logique entre les deux supports permettrait aux consommateurs de prendre le temps de s’arrêter sur l’image et de réfléchir à sa signification.
Lorsqu’on aborde l’avenir de la photographie de presse, M. Boissinot demeure positif malgré tout. Selon lui, le métier qu’il occupe est là pour rester. «L’impact d’une photo, c’est tellement fort!» Effectivement, on peut penser à plusieurs photos qui ont marqué l’imaginaire collectif au cours des cinquante dernières années. L’une des plus connues d’entre toutes est sans contredit La petite fille au napalm, gagnante du World Press Photo en 1972, qui a soulevé l’indignation du monde entier et a contribué à mettre fin à la guerre du Vietnam.
Entre l’époque de La petite fille au napalm et celle de La mort de Neda, le monde de la photographie a connu de grandes transformations sur le plan technique. Mais l’essence du photojournalisme demeure la même, celle de rapporter une image vraie qui incite souvent à une réflexion sur la condition humaine.
Références
-Colo, Olivia, Estève, Wilfrid & Mat Jacob, 2005. Photojournalisme, à la croisée des chemins. Italie : Eurografica. 221 pages
-Estienne, Yannick. 2011. «Évolutions des pratiques journalistiques sur Internet : journalisme «augmenté», data journalism et journalisme hacker-Entretien avec Jean-Marc Manach», Les Cahiers du journalisme, no 22-23, p.134-143. Document en accès libre : http://www.cahiersdujournalisme.net/dj/22_23.htm
-Gunther, André. Tous journalistes? Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs. Actualités de la Recherche en visuelle http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/03/19/956-tous-journalistes 19 mars 2009 à 7 :51. Page consultée le 13 décembre 2012.
-Lautissier Fanny : La mort de Neda : Une capture d’image distinguée par le World Press Photo 2010. http://culturevisuelle.org/photogrammes/2010/02/14/la-mort-de-neda-une-capture-dimage-distinguee-par-le-world-press-photo-2010/ 14/02/2010 à 18 :55. Page consultée le 13 décembre 2012.
-Morel, Pierre. Et si les photojournalistes étaient les plus aptes à sur-vivre aux mutation des médias? (3/5). http://www.blog.pierremorel.net/2009/12/10/et-si-les-photojournalistes-etaient-les-plus-aptes-a-sur-vivre-aux-mutations-des-medias-35/ 10/12/ 2009. Page consultée le 13 décembre 2012.
-Ramonet, Ignacio. 2011. «Une crise d’identité», dans l’Explosion du journalisme, Paris: Galilée, p.15-34
info@cjf-fjc.ca | |
77 Bloor St. West, Suite 600, Toronto, ON M5S 1M2 | |
(437) 783-5826 | |
Charitable Registration No. 132489212RR0001 |
Founded in 1990, The Canadian Journalism Foundation promotes, celebrates and facilitates excellence in journalism. The foundation runs a prestigious awards and fellowships program featuring an industry gala where news leaders…
Ⓒ2022 The Canadian Journalism Foundation. All Rights Reserved.
powered by codepxl