Par Geneviève Gagné, collaboratrice en Italie

Par Geneviève Gagné, collaboratrice en Italie

Le Popolo Viola (Peuple Violet) a manifesté la semaine dernière devant les bureaux de la Rai pour dénoncer le manque de pluralité des opinions diffusées par le réseau public italien. Le 20 mai dernier, la chaîne a diffusé au téléjournal, le Tg1, un monologue de 17 minutes du Premier ministre, Silvio Berlusconi, au sujet des potentielles répercussions de la victoire d’un candidat de «gauche» aux élections municipales de Milan, son château fort.

Le Peuple violet est notamment connu pour avoir organisé le No Berlusconi Day. Cette opposition populaire née en 2009 manifeste régulièrement contre le berlusconisme. Elle dénonce la corruption, les conflits d’intérêts, la précarité, et réclame le respect de la liberté de presse et de la constitution. Pour elle, l'allocution du 20 mai dernier aux allures de discours à la nation à l’américaine a été la goutte qui a fait déborder le vase.

Assis devant le logo de son parti, le Parti de la Liberté, Il Cavaliere présageait un futur sombre et catastrophique pour la capitale financière du pays si elle devait tomber entre les mains de «communistes» pures et dures. Pour sa part, son opposant, le secrétaire du Parti démocrate, Pier Luigi Bersani, a déclaré que ce n’est pas les États-Unis que le discours lui rappelait, mais la Biélorussie.

L’autorité des télécommunications, Agcom, l’équivalent du CRTC, s’est vite empressé de sanctionner la Rai en la forçant à payer une amende de 258 000 euros (362 000 dollars canadiens). Selon l’Agcom, l’allocution du Premier ministre est «une violation des règles électorales» qui donnait «priorité» aux membres du gouvernement principalement le Premier ministre en pleine campagne électorale. Trois autres chaînes télévisées appartenant à Berlusconi et une autre chaîne publique ont reçu des amendes pour les mêmes raisons.

Guerre de tranchée médiatique

Ce n’est pas la première fois que l’Italie fait face à une telle situation. Le Tg1 subit depuis longtemps de graves critiques de la part des journalistes qui l’accusent de montrer le Premier ministre sous un jour favorable ou de lui donner la parole sans contrebalancer ses propos. Le Tycoon de la télévision italienne, qui détient un empire médiatique allant de la télévision à l’édition en passant par les journaux et magazines, envahit les journaux de «droites» comme de «gauches».

En somme, le paysage journalistique italien s’est divisé en deux camps: les pro-Berlusconi et les anti-Berlusconi. Il suffit de voir la une des journaux tous les matins ou un téléjournal pour s’en rendre compte. D'un côté, ceux qui travaillent pour Berlusconi taisent ses mauvais coups et acclament les meilleurs. De l’autre côté, ses opposants s’intéressent à tout ce qui pourrait nuire à sa réputation.

Selon Orazio Carabini, directeur de L’Espresso rencontré au Festival International du Journalisme à Pérouse en avril dernier, c’est possible, mais difficile, de faire du journalisme sans tomber dans le camp anti ou pro Berlusconi. «La présence invasive de Premier ministre dans la politique a causé une radicalisation des positions et la tendance des journalistes à s’identifier à l’un ou l’autre des groupes.»

«L’Italie a la fièvre, il est normal que nous parlions de la fièvre», défend l'ancien correspondant de The Economist, Beppe Servignini, lui aussi rencontré au Festival international du Journalisme. «De quoi d’autre pourrions-nous parler? Surtout lorsqu’un jour le Premier ministre dit quelque chose et que le lendemain il le dément.»

C’est une vraie partie de tennis qui se joue entre la politique et le journalisme qui devient essoufflant pour ceux qui la regardent. La partie se prolongera jusqu’à la fin du Berlusconisme, selon M. Carabini qui croit qu’à ce moment «il sera possible de faire du journalisme neutre où le journaliste n’est plus protagoniste, mais médiateur de l’information».