Il y a un an, Radio-Canada réalisait l'intégration en regroupant ses journalistes de la radio et de la télévision dans une même salle des nouvelles. Journaliste à la Première chaîne, Chantal Francœur, a elle-même vécu le processus comme un choc et a décidé d'y consacrer ses recherches doctorales à l'Université Concordia. Elle rapporte à ProjetJ.ca les grandes lignes de sa plongée ethnographique au cœur des services de l’information du réseau public.
Il y a un an, Radio-Canada réalisait l'intégration en regroupant ses journalistes de la radio et de la télévision dans une même salle des nouvelles. Journaliste à la Première chaîne, Chantal Francœur, a elle-même vécu le processus comme un choc et a décidé d'y consacrer ses recherches doctorales à l'Université Concordia. Elle rapporte à ProjetJ.ca les grandes lignes de sa plongée ethnographique au cœur des services de l’information du réseau public.
>> Intégration à Radio-Canada: le choc des cultures (1ère partie) – extraits de la thèse illustrant l'impact humain de l'intégration
Pourquoi Radio-Canada réalise l'intégration?
Parce qu'en tant qu'entreprise publique financée par des fonds publics, elle n'a pas le choix de rester à jour dans sa façon de faire des nouvelles, de gérer ses employés et de participer à l'information. Elle est obligée de rendre des comptes, de montrer qu'elle est pertinente et au goût du jour. Le grand mouvement général des médias étant la convergence, elle doit suivre.
Radio-Canada a choisi le terme «intégration» plutôt que «convergence» parce qu'elle veut accroître son influence. Dans le fond, la convergence équivaut à l'intégration. Mais, pour accroître son influence elle doit être différente donc elle a choisi un contre-discours.
Différente de qui? De son principal concurrent Quebecor?
Notamment, oui. En faisant une revue de presse de tout ce qui a été dit, et se dit encore sur la convergence, on constate que c'est un mot chargé négativement et très associé à Quebecor, surtout avec les conflits de travail au Journal de Quebec et au Journal de Montréal où on a réduit des salles de nouvelles qui ne perdaient pas d'argent.
Il y a une volonté nette à Radio-Canada de se distancer de toute la mauvaise publicité qui entoure le terme «convergence», mais aussi de sa finalité telle qu'envisagée par Quebecor, soit faire plus de profits. En tant que média public, Radio-Canada a un tout autre mandat qui est d'enrichir le débat public, de contribuer au vivre ensemble.
L'intégration réussit-elle aussi bien à Radio-Canada en termes économiques?
C'est une bonne question qui habite encore toutes les entreprises de presse qui ont réalisé l'intégration. Mais je pense qu'on n'est pas encore à l'heure des bilans. On est à l'heure de la réaction: qu'est-ce qu'on fait face aux revenus publicitaires qui diminuent, face à la multiplication des plateformes à alimenter? Pour le moment, la réponse générale est la convergence ou l'intégration.
Le modèle radio-canadien est d'ailleurs étudié dans les médias publics européens. Ils sont intéressés par la logique que Sylvain Lafrance, le Vice-Président des services français de Radio-Canada, a installé derrière l'intégration. Cette logique n'est pas économique ou technologique, mais de marque. Elle a donc un impact directe sur l'influence du réseau, sur son image.
On ne sait pas encore si cette logique va être payante. Une chose est sûre, l'idée derrière l'intégration n'est jamais de faire de la meilleure information, mais d'économiser. Jusqu'à présent, les entreprises convergentes n'ont réussi à économiser qu'en réduisant la qualité de l'information journalistique.
Est-ce à dire que l'intégration nuit à la qualité de l'information?
Il faut que j'aille voir. Je souhaite poursuive mes travaux pour savoir si les inquiétudes des journalistes s'avèrent. En étudiant les textes des journalistes, j'aimerais vérifier si on respecte les différents médias et leurs caractéristiques.
Dans les médias qui ont réalisé l'intégration, comme à la BBC, les journalistes constatent que les nuances se perdent d'une plateforme à l'autre. Quand une nouvelle fait état d'une possibilité, après plusieurs traitements, la possibilité devient un fait. C'est dangereux. Certains journalistes à Radio-Canada ont constaté ce phénomène à quelques occasions quand leur reportage fait pour la radio est repris pour la télé puis pour le web. Il faut voir si c'est anecdotique ou récurrent.
J'ai l'impression que, pour alimenter plus de plateformes rapidement, on va utiliser de plus en plus de clips préfabriqués, formatés, prêts à être distribués partout. Des clips à la limite vides, mais bien dits qui viennent en général des professionnels des relations publiques, des groupes de pression. En les diffusant sans traitement journalistique, on nuit à la qualité de l'information. Les sujets complexes disparaissent, de même que certaines sources.
Quel est l'impact de l'intégration sur les journalistes eux-mêmes?
On assiste à une division de la profession en deux avec, d'un côté, les journalistes techniciens de l'information, et, de l'autre, le journaliste enquêteurs. Le modèle existe déjà. Un journaliste de Rue Frontenac a dit à mes étudiants: «on n'aura pas le choix, il va falloir des gens pour produire de la saucisse, pendant que nous on sort des scoops.» J'aimerais vérifier sur le terrain si l'intégration accentue le phénomène et savoir ce que les techniciens de l'information produisent.
Au plan humain, quand j'ai fait ma recherche à Radio-Canada, on en était aux premières expériences multiplateformes. La plupart des journalistes me disaient que ça exigeait d'eux une gymnastique intellectuelle, une psychomotricité, très difficile à maîtriser. Ils me disaient ne pas arriver à bien faire leur travail sur toutes les plateformes, à produire des reportages cohérents partout.
Travailler pour la radio n'est pas travailler pour la télé et inversement. La façon de raconter est différente. À la radio, chaque mot contient de l'information. À la télé, chaque image contient de l'information. C'est une différence fondamentale. On ne conçoit pas le monde de la même façon, donc on ne le raconte pas de la même façon.
Peut-être qu'on va aboutir à une nouvelle forme de narration qui pourrait fonctionner sur toutes les plateformes. Peut-être que les journalistes vont développer une façon de cueillir l'information qui va leur permettre d'adapter leur contenu rapidement pour toutes les plateformes parce qu'ils auront intégré physiquement ce qui va correspondre le mieux à tel ou tel média.
Ne manquez pas demain la troisième partie de ce dossier!
Voir aussi:
Radio-Canada: début de la cohabitation entre journalistes de la radio et de la télé
Rencontre avec le nouveau patron de la radio de Radio-Canada
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