Classé 19e au monde en 2009, le Canada est désormais au 21e rang du classement mondial de la liberté de presse de Reporters sans Frontières (RSF). Si sur 178, la 21e place peu sembler enviable, il y a de quoi sourciller au regard de la note globale canadienne. Celle-ci est en effet passée de 3,7 en 2009 à 7 en 2010, 0 étant la meilleure note (Finlande) et 105 la pire (Érythrée).
Classé 19e au monde en 2009, le Canada est désormais au 21e rang du classement mondial de la liberté de presse de Reporters sans Frontières (RSF). Si sur 178, la 21e place peu sembler enviable, il y a de quoi sourciller au regard de la note globale canadienne. Celle-ci est en effet passée de 3,7 en 2009 à 7 en 2010, 0 étant la meilleure note (Finlande) et 105 la pire (Érythrée).
«La plupart des pays occidentaux ayant reculé, quand on se compare on peut dire que la liberté de presse au Canada est bien portante. Néanmoins, il ne faut pas se faire d'illusion, le pointage démontre qu'il y a matière à se poser des questions», prévient le président de RSF Canada, François Bugingo. Pour lui, le principal irritant à la liberté de presse au pays est l'épineux dossier de l'accès à l'information.
Information caviardée
En effet, depuis cinq ans, soit depuis que le gouvernement conservateur est au pouvoir, le nombre de plaintes déposées au Commissariat à l'information du Canada a bondi de 17%, rapportait récemment le Globe and Mail. Les troupes de Stephen Harper avaient pourtant fait campagne en 2005-2006 en promettant de faciliter l'accès à l'information au nom de la transparence. Le scandale des commandites était alors tout chaud.
Il a cependant bien vite refroidi, car, en cinq ans, les conservateurs ont manifesté bien peu d'intérêt pour ce dossier, souligne le Globe and Mail. Il y a quelques jours, le quotidien rapportait que des consultants extérieurs ont même été engagés pour faire le ménage dans les demandes d'accès à l'information souvent en poussant tout bonnement les journalistes à retirer leur requête.
Le gouvernement s'est également engagé dans des batailles judiciaires pour empêcher le dévoilement de documents. Au début du mois, par exemple, il était devant la Cour Suprême pour empêcher le dévoilement des agendas de l'ancien Premier ministre Jean Chrétien qui impliquent un membre influent du parti conservateur, Laurie Throness.
Le G20: dur sommet pour la liberté
François Bugingo a observé une nette fracture au plan de l'accès à l'information entre les gouvernances libérale et conservatrice. Pour lui, le froid a débuté avec les journalistes de la colline parlementaire et a ensuite glissé vers l'ensemble de la profession au point de devenir inquiétant. Il souligne que les restrictions à l'accès à l'information concernent les documents, mais aussi les évènements publics, comme le G20 où une dizaine de journalistes ont été arrêtés et malmenés par les forces policières.
Pour le président de RSF Canada, le Sommet du G20 est un épisode noir pour la liberté de presse au pays et pour son image. Selon lui, si les États-Unis et le Canada ont déjà pu servir de modèles aux pays du sud, ce n'est plus le cas. «Dernièrement, j'ai été au Zimbabwe et le ministre de l'Information là-bas m'a dit qu'on n'avait pas de leçon à donner quand on se permettait de bastonner des journalistes dans une manifestation», raconte-t-il.
Secret des sources en péril
RSF dénonce également l'absence de protection des sources confidentielles au pays. Selon la Constitution canadienne, le droit des journalistes de protéger leurs sources n'est en effet pas absolu. Il relève du cas par cas et est soumis à la notion d'intérêt public. Un journaliste doit donc être en mesure de démontrer que l'intérêt du public à la protection des sources secrètes l'emporte sur l'intérêt du public à la production de documents ou informations considérés comme une preuve.
Récemment, la Cour Suprême a ainsi contraint le National Post à remettre à la GRC des documents prouvant un conflit d’intérêts entre la Banque canadienne de développement et un proche de Jean Chrétien. Pourtant, la Déclaration des droits et devoirs des journalistes, signée à Munich en 1971, impose à tous les journalistes de ne pas révéler leurs sources. En ce sens, l’arrêt Goodwin de la Cour européenne reconnaît depuis 1996 que le secret des sources des journalistes est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse.
Convergence: la diversité garante de liberté
Finalement, François Bugingo s'inquiète de la concentration de la presse. Le paysage médiatique canadien tend en effet de plus en plus à se résumer à quatre grandes marques: Shaw, Rogers, Bell et Quebecor. Ces entreprises ont en main des médias qui produisent du contenu, mais aussi des canaux de diffusion, puisque ce sont toutes des distributrices de câble et de satellite. Elles ont donc tous les outils pour opérer des mouvements de convergence au péril de la diversité de l'information.
Or, pour le président de RSF Canada, quand la diversité de l'information est en danger, la liberté de presse l'est aussi, car l'ingérence des propriétaires dans la salle de rédaction devient une menace permanente. À titre d'exemple, il souligne le cas de la famille Asper qui avait interdit à ses médias de critiquer les politiques d'Israël.
À l'extérieur du Canada, les cas de l'Italie et de la France, où les liens entre patrons de presse et dirigeants ne sont plus à mettre en lumière, démontrent les dérives qu'engendre la concentration de la presse, souligne François Bugingo. «Ce sont des réalités dont on parlait auparavant dans les pays en apprentissage de démocratie, mais aujourd'hui ça se passe en occident», s'inquiète-t-il.
Vers une sanction populaire?
Face à ce portrait, François Bugingo compte, non pas sur l'État, mais sur le public pour renverser la vapeur. «J'entends des gens qui dénoncent l'absence de diversité dans les médias et la baisse de la qualité de l'information. Je constate aussi qu'il y a une perte de confiance à l'égard des médias. À mon avis, il va finir par y avoir une sanction populaire, les gens vont avoir envie d'autre chose.»
Il encourage donc les journalistes à être à l'écoute de leur public plutôt qu'à attendre un coup de pouce gouvernemental ou légal. «Quand on est faible, la tentation est forte de se tourner vers l'État pour régler nos problèmes, mais c'est dangereux parce que ça peut se retourner contre nous. Ce qui nous protège vraiment c'est la confiance du public.»
Pour en savoir plus, consultez l'ensemble du Classement mondial de la liberté de presse 2010.
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